jeudi 12 juin 2014

D'une capitale à l'autre, "Tudo Bem"

Photo: Patrick Woodbury

WASHINGTON - Nous nous sommes envolés le mardi 10 juin, pour São Paulo. Première étape de notre trajet, un vol de 90 minutes reliant deux capitales, Ottawa et Washington. Le vol 4206 de la compagnie aérienne United devait, en temps normal, se faire sans anicroche. Départ prévu: 19h40. Correspondance à 22h05, à Washington.  C’est court entre les deux vols, mais nous sommes quand même en Amérique du Nord et non pas dans un pays lointain - normalement - miné par des imprévus. Des vols du genre, il y en a tous les jours, sans pépins. 

«Tudo bem», comme disent les Brésiliens.  Traduction: «tout va bien».  Même quand tout va mal, tout va bien selon leur philosophie de vie.

L’esprit du Brésil, et son «je-m’en-foutisme pour les horaires», allait toutefois nous affecter plus tôt que prévu...


                                                                 Photo: Patrick Woodbury


«Désolé, mais nous partirons avec un retard de 30 minutes, nous informe l’employée au comptoir de United lors de notre enregistrement.  L’avion en provenance de Chicago a été retardé. Des pépins techniques.»





Bon, malheureux, mais pas grave.  Il faudra prendre nos jambes à notre cou une fois arrivés au Dulles Airport. Toutefois, avec la gazelle (ici lire Patrick) on ne devrait pas avoir de problèmes de se rendre à temps.

«Tudo bem» toujours...

Tic-toc tic-toc tic-toc... Le temps avance. Il est maintenant 20h. Nous devrions en théorie décoller à 20h15.  Nous sommes toujours dans la salle d’attente!

Finalement, on annonce que l’avion est sur la piste. On peut prendre un siège et enfin partir.  

Une fois dans le minuscule tacot de l’air (ma tête touchait le plafond 
à mon entrée dans l’appareil) et après un certain délai avant de s’engager 
sur la piste de décollage, le capitaine nous annoncera plus tard dans les 
cieux que nous arriverons à destination à... 22h!   

Uh oh.

Pris de panique (une mini panique quand même), je demande à l’hôtesse de l’air si le vol à destination de São Paulo sera retenu pour nous. «Pouvez-vous les avertir d’une quelconque façon ?» je lui demande.

«Ne vous inquiétez pas ils le savent que vous êtes en chemin».

«Tudo bem» encore...

                    Photo: Patrick Woodbury

Néanmoins, pas exactement rassurant ces paroles.  Mais, il n’y a rien que l’on peut faire. Il faudra simplement se grouiller après l’atterrissage.  La gazelle sera chargée de courir à la porte d’embarquement pour leur avertir que l’hippopotame, plus lent, arrivera sous peu.

Finalement, nous remarquons que plusieurs passagers sprintent vers la porte d’embarquement du vol à destination de São Paulo.
L’espoir regagne notre esprit.  

Jamais n’oseront-ils de nous fermer la porte au nez! Right

Nous sommes quand même une douzaine à vouloir s’asseoir les fesses dans le gros Boeing nous amenant en Amérique du Sud.

Eh bien non. 

Alors que je m’approche de la «porte 20», dans un autre terminal, je vois mes collègues du 800 mètres, version aéroport, revenir la mine basse.
Photo: Patrick Woodbury

«L’avion est parti», m’annonce Patrick.

«Tudo bem» vient de prendre le bord. 

Il est maintenant 22 h 20. Nous avons raté l’avion de quinze minutes seulement. C’est peu si l’on considère qu’une douzaine de places devront être trouvées sur un ou plusieurs vols. À 24 heures de l’ouverture de la Coupe du monde, me semble que ça ne sera pas trop évident... On nous dirige tout de même  vers le comptoir du service à la clientèle.

C’est le bordel total.

Une longue file de gens rouspètent pour plein de trucs.  D’autres ont 
aussi raté leur correspondance pour le Brésil. Des Américains notamment.  
Ils monopolisent d’ailleurs plusieurs employés pendant de longues minutes. 
La file d’une trentaine de personnes avance à peine.

Patience, respiration, patience, respiration... «Tudo bem»... 

Trente minutes plus tard, nous avons avancé à pas de tortue. Cinq ou six places au maximum. Mais comme la tradition l’oblige en vacances, les voyageurs dont les espoirs ont été foudroyés se rassemblent, s’unissent dans leur malheur pour garder le moral. Des amitiés éphémères se tissent le temps de quelques heures.  La mentalité de nous contre eux voit le jour.  Certains étant plus combatifs, d’autres adoptent cependant une philosophie plus zen.  

Prenez Mike par exemple, ce type que nous avons affectueusement baptisé «Captain Awesome ». Ce dernier, originaire de la capitale nationale canadienne et assis à mes côtés sur le vol Ottawa-Washington, n’a cessé de voir le bon côté des choses durant notre calvaire. Souvent, un «awesome» suivait une quelconque intervention.  J’y reviendrai dans mon prochain récit de voyage.

Revenons plutôt à nos moutons. 

Tic-toc tic-toc-tic toc... 

Le temps avance toujours. La grogne prend de plus en plus d’ampleur. Des passagers mécontents veulent se faire entendre. Une est même au téléphone avec un supérieur de la compagnie aérienne et, comme on dit en bon québécois, lui «donne un char de marde». Mike, toujours aussi zen, prend le temps de connaître ses compagnons de malheur, reste calme, sourit et rit. 

Photo: Patrick Woodbury
Assoiffé, je décide d’aller à la recherche de bouteilles d’eau. Tout semble fermé  à l’aéroport alors que minuit approche.  Voilà bientôt deux heures que nous sommes en ligne et on peine à obtenir une quelconque solution à notre problème.  Je sillonne les couloirs quasi vides de l’aéroport. «Étrange», me dis-je. Pour un endroit qui fourmille d’activités en temps normal, c’est un peu étrange de constater ce calme parfait. Je croise seulement une femme de ménage. Scène curieuse aussi. Avec son aspirateur accroché au dos, elle ressemble plutôt à un Ghostbuster qui est à la recherche de fantômes ou de l’Homme Guimauve...  Finalement, c’est la buvette qui devient mon oasis au sein d’un aéroport désert.

À mon retour, tout le clan de «rejets» est assis sur des bancs. Les employés de United en avaient assez de nous voir attendre en ligne et d’ainsi paralyser le comptoir des plaintes. Ça avait du sens. Ironiquement, je venais de dire à Patrick qu’il devrait faire une «ligne express» pour dealer avec nous.  Il est maintenant 12:15. Deux heures se sont écoulées depuis notre arrivée à Washington.

«Tudo bem», «tudo bem»...

Pendant ce temps, les plus audacieux parmi nous sortent leur portable et tentent de faire le boulot des employés du service à la clientèle, qui à ce stade, ont pris possession de toutes nos cartes d’embarquement pour tenter de nous accommoder.

--- interlude subjectif ---

C’est quand même malheureux que ces employés aient dû subir la colère des passagers alors que ce sont leurs collègues qui ont gaffé.  Donc malgré une certaine impatience de ma part, j’avais une certaine compassion pour ces employés pris dans une tourmente qui n’est pas leur ressort. 

--- fin de l’interlude subjectif ---

Les rumeurs circulent à bon train aussi. 

«Toutes les chambres à Washington sont prises.» 

«C’est parce qu’il y a des remises de diplômes et la nouvelle tendance est de réserver des chambres.» 

«Il faudra dormir sur les sièges des salles d’attente à l’aéroport». 

«Aura-t-il des avions pour nous amener à temps pour l’ouverture du Mondial.» Etc.

Une explication nous parvient aussi à nos oreilles. Une des employées qui travaille frénétiquement à régler les problèmes des passagers furieux est originaire du Brésil.  Elle dit connaître pourquoi le vol a quitté à l’heure au lieu de nous attendre, comme en temps normal.

«Les autorités brésiliennes ont averti les compagnies aériennes qu’ils devraient payer des amendes salées si jamais leur vol arrivait en retard, étant donné le nombre élevé d’avions qui converge vers le Brésil. C’est une nouvelle qui n’a pas été annoncée ici aux États-Unis, mais j’ai vu un reportage à la télévision, sur un poste brésilien à la maison.»

Mmouin. Douteux.

Néanmoins, le «premier miracle» se produit vers 1h15. Devinez qui a eu sa chambre, son bon pour le taxi et la nourriture ainsi que sa réservation pour un vol le lendemain... Eh oui, «Captain Awesome»! Comme quoi dans la vie, il faut rester positif... 

                                  Photo: Patrick Woodbury
«Tudo bem», «tudo bem»...

Petit à petit, tout un chacun reçoit leur délivrance, 
tant attendue.  Nous avons reçu notre kit vers 2h 
du matin, presque quatre heures après notre 
arrivée dans la capitale américaine...  Le temps d’accrocher quelques miettes, prendre un taxi et se rendre à notre hôtel, il est 3h... Et nous devons revenir à l’aéroport à 10h pour notre vol à midi. 

Mais «tudo bem».

Nous avons notre billet pour São Paulo.

En théorie. 


-Jean-François Dugas


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